Publié par : Jérôme C., le 26/07/2024

Interview Sébastien Bizeau et Matthieu Le Goaster - Heureux les orphelins

Dans le monde du théâtre, certaines œuvres captivent non seulement par leur contenu mais également par leur capacité à refléter les préoccupations contemporaines. "Heureux les orphelins" en est un exemple éclatant. Cette pièce explore le pouvoir des mots et leur manipulation, qu'elle soit politique, familiale ou professionnelle. Les mots peuvent être utilisés pour adoucir la réalité ou pour cacher des vérités douloureuses. C'est sur cette trame que Sébastien Bizeau et Matthieu Le Goaster ont construit leur œuvre, une fresque familiale qui résonne bien au-delà des planches.

Le point de départ de "Heureux les orphelins" est une histoire familiale ancrée dans le mythe ancestral d'Electre et Oreste. Cette référence à la mythologie grecque sert de toile de fond à une réflexion sur les non-dits et les tensions familiales. Matthieu, qui incarne Oreste, explique que son personnage est un conseiller ministériel, expert en éléments de langage, chargé de justifier des décisions politiques douteuses, comme celles concernant l'usage des pesticides. Ce rôle met en lumière la dangerosité des mots non prononcés, des vérités dissimulées, et des mensonges polis.

Sébastien, quant à lui, nous décrit la dualité de la pièce, entre drame et comédie satirique. En s'inspirant des œuvres de Jean Giraudoux, il a voulu créer un pont entre le passé mythologique et notre époque contemporaine, en intégrant des personnages au langage sophistiqué, souvent anachronique. Ces personnages, qu'ils soient ministres, médecins ou notaires, préfèrent contourner les vérités dérangeantes par des circonvolutions verbales. L'impact de cette démarche est double : elle amuse autant qu'elle blesse, montrant ainsi que l'absence de mots peut être aussi létale que les actes eux-mêmes.

Au cœur de cette dynamique, la relation entre Electre et Oreste est cruciale. Electre, restée fidèle au domaine familial, incarne la quête de vérité face à une mère dominatrice. Oreste, en revanche, a fui pour se plonger dans sa carrière politique, cherchant à oublier les douleurs du passé. La pièce révèle leur conflit, mais aussi leur amour profond. Les confrontations entre ces deux personnages symbolisent le choc entre la volonté de vérité et la tentation de l'oubli. Cette tension est omniprésente et donne à la pièce une profondeur émotionnelle intense.

"Il y a dans cette pièce une énergie particulière", souligne Matthieu. Le personnage d'Oreste évolue de manière significative, passant d'un homme sûr de lui, parfois hautain, à une figure fragile, fissurée par les révélations et les confrontations avec sa sœur. Cette évolution est magnifiquement mise en scène lors du festival d'Avignon, où la pièce est jouée tous les jours, offrant au public un regard sans concession sur le pouvoir des mots et des non-dits.

Sébastien précise que "Heureux les orphelins" n'est pas seulement une pièce sur le langage, mais aussi une réflexion sur le pouvoir et ses manifestations insidieuses. Le langage, loin d'être un simple outil de communication, devient une arme, parfois plus dangereuse que les coups d'épée d'autrefois. Celui qui maîtrise les mots détient un pouvoir immense, capable de contrôler, d'anesthésier et de manipuler.

Cette réflexion est renforcée par des thématiques contemporaines telles que l'écologie et le glyphosate, qui servent de toile de fond aux intrigues politiques de la pièce. Sébastien et Matthieu espèrent que leur œuvre incitera les spectateurs à réfléchir sur ces sujets, et peut-être à reconsidérer leur propre utilisation du langage. Pour eux, redonner du sens aux mots est crucial. Ils citent George Orwell, rappelant que dans le désordre actuel, le langage joue un rôle majeur et qu'il est essentiel de nommer les choses pour mener les combats nécessaires.

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