L'histoire de Jean Zay, figure emblématique du XXe siècle, ressurgit avec une force renouvelée grâce à l'interprétation magistrale de Xavier Béjà au théâtre Épicène. Cet homme, dont le nom résonne encore dans quelques institutions et rues, a joué un rôle fondamental dans la transformation de l'éducation et de la culture en France. Appelé par Léon Blum en 1936, ce ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire a profondément marqué son époque avant d'être tragiquement assassiné par la milice française en 1944.
Ce réformateur visionnaire a remanié le système éducatif français. Il a promu l'éducation populaire et ouvert les portes des théâtres, musées et usines aux élèves. Cette ouverture culturelle, aujourd'hui considérée comme acquise, était révolutionnaire à son époque. De plus, il a introduit l'éducation physique dans les écoles, jeté les bases de l'ENA et créé le CNRS. Sous son impulsion, les musées nationaux se sont unifiés, et de nouvelles institutions culturelles ont vu le jour, comme le musée d'Art et Tradition Populaire et le musée d'Art Moderne.
Son influence s'étendait bien au-delà des écoles et des musées. Il a joué un rôle clé dans la pérennisation du Palais de la Découverte et a été l'un des fondateurs du festival de Cannes, prévu pour septembre 1939 mais annulé à cause de la guerre. Ce festival, aujourd'hui l'un des plus prestigieux au monde, témoigne de sa vision culturelle avant-gardiste.
L'interprétation du comédien, basée sur l'adaptation de "Souvenirs et Solitude", le journal de captivité de Jean Zay, nous plonge dans l'intimité et la grandeur d'un homme qui, même emprisonné, n'a jamais cessé de travailler et de croire en un avenir meilleur. Le comédien décrit avec une émotion palpable comment ce grand homme, malgré une détention sans limite de durée, a maintenu une activité intellectuelle intense, écrivant des centaines de lettres, des romans policiers et son journal de captivité. Sa capacité à rester positif et à continuer à œuvrer pour le bien de la France, même dans les moments les plus sombres, est une leçon de résilience et de détermination.
L'interprétation du comédien ne se contente pas de rendre hommage à cette figure historique, elle incite également à la réflexion sur l'état actuel de l'éducation et de la culture en France. Le comédien exprime sa tristesse face à la dégradation de ces domaines, autrefois sources d'émancipation et d'épanouissement. Il déplore que l'école ne favorise plus la réflexion et que la culture soit en péril. Cette critique résonne particulièrement dans un contexte où les valeurs défendues par le ministre semblent menacées.
En évoquant la préparation à son rôle, l’acteur souligne la difficulté de s'approprier les pensées et les sentiments d'un personnage historique aussi complexe. Contrairement aux personnages fictifs, incarner ce personnage historique demande une immersion totale dans ses écrits et ses actions, sans possibilité de s'appuyer sur une interprétation personnelle. Cette approche rigoureuse et respectueuse des mots de l’ancien ministre confère à la performance de l’acteur une authenticité rare et touchante.
La pièce se termine sur une note poignante, rappelant l'assassinat brutal du ministre par la milice française, une fin tragique qui ne laisse personne indifférent. Les spectateurs, souvent émus aux larmes, sortent de la représentation avec une conscience aiguë de l'importance de ce grand homme, trop souvent oublié de l'histoire officielle. Cette redécouverte à travers le théâtre est non seulement un hommage, mais aussi un appel à ne pas laisser sombrer dans l'oubli ceux qui ont œuvré pour le progrès et la culture.